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Afropunk Festival NYC, j'y étais, que reste-t-il de l'afro et du punk?

13h et des poussières, samedi 22 août, la foule se dirige doucement vers les pelouses du Commodore Barry Park, situé dans Fort Greene, épicentre de la gentrification croissante du nord de Brooklyn. L’artiste sud-africain Petite Noir électrise la foule éparse avec sa guitare blanche. Peu à peu le public de cette 11ème édition d’Afropunk NYC s’amoncelle vers les trois scènes où se produiront lors des prochaines 48h une pléiade d’artistes afro-américains et issus des diverses diasporas africaines.

Au milieu des « food trucks » (« camions de nourriture ») se trouve aussi une camionnette proposant un dépistage rapide du VIH, ou encore des volontaires ambulant incitant à s’inscrire sur les listes électorales pour les prochaines présidentielles.

Dans les divers stands exposés, artistes, activistes et auto-entrepreneurs se côtoient : street art, art visuel, bijoux fait à la main et estampillés « Black Lives Matter » attirent les curieux.

Yendis Nefer-Afum se définit comme une « Holistic Health Practioner » (« Praticienne de santé holistique »), avec une approche multiculturelle et spirituelle. Fondatrice du Cowrie Shell Center, elle prodigue depuis 1991 des conseils en «médecine traditionnelle» et crée des produits pour la peau et les cheveux afros, sa façon à elle de contribuer au bien-être de la communauté noire. Je rencontre aussi Brion Vann, afro-américain qui vend des bracelets au couleur du pays de la téranga et autres accessoires et vêtements dont il est le co-designer, avec The Ugly Owl, une compagnie conçue au Mali et née à Brooklyn.

Il plane sur Commodore Barry Park un air de liberté. La créativité dans toutes ses déclinaisons semble être le maître-mot du weekend et s’incarne dans les looks hétéroclites des festivalières et festivaliers inspiré-e-s. Je rencontre et photographie quelques un-e-s de ces égéries officieuses dont je salue la flamboyance et l’originalité.

La presse généraliste dressera un tableau de ces deux jours comme on fait la revue d’un carnaval…mais est-ce bien cela l’ « esprit Afropunk» ? Si l’on remonte à la source, le festival Afropunk est né du documentaire «The Rock and Roll Nigger Experience » (2003), réalisé par James Spooner, alors amateur (il a étudié la sculpture), désireux de pouvoir rencontrer des gens qui lui ressemblent dans le monde du punk alternatif. Né dans les Caraïbes, à Sainte-Lucie, d’un père noir caribéen et d’une mère blanche américaine, il sillonne les Etats-Unis à la rencontre de musiciens punk afro-américains, milieu musical majoritairement blanc. Le documentaire prend la forme d’une quête identitaire portée par l’expression de "l’identité noire" dans la culture punk américaine.

« Ce film est dédié à tous les enfants noirs qui se sont fait traiter de nègre un jour…et à tous les enfants blancs qui pensent savoir ce que cela veut dire », c’est avec ces mots forts que James Spooner introduit sa première œuvre cinématographique.

A la suite de ce documentaire Matthew Morgan, noir anglais devenu new-yorkais, créera le festival Afropunk à Brooklyn, avec l’ambition de rendre hommage à la communauté noire locale dans sa diversité, et de revisiter l’esprit punk et les « cultures alternatives ». L’accès au festival fut d’abord gratuit, se rendant alors accessible au plus grand nombre. Cette année le tarif est fixé à 80 dollars pour les deux jours .

Le slogan du festival, à vocation intersectionnel : «Pas de sexisme, pas de racisme, pas de validisme, pas d’agisme, pas d’homophobie, pas de grossophobie, pas de transphobie, pas de haine » …n’évoque pas cependant le « classisme », soit la discrimination de classe…est-ce un hasard ? La moyenne d’âge semble être de 20-35 ans, et on croise très peu de familles avec enfants.

Alors que le festival est soutenu par plusieurs sponsors, le tarif élevé est le sujet de vives critiques, un festival implicitement « élitiste » et gentrifié, à l’image de l’évolution du quartier?

Le sens du mot et du mouvement punk semble perpétuellement à redéfinir. Quelques artistes d’inspiration punk sont programmés mais ne sont pas ceux qui attirent le plus large public. La présence de Lauryn Hill, Grace Jones et Lenny Kravitz rencontre davantage de succès et justifie sans doute la non-gratuité du festival, qui faisait pourtant sa singularité.

Au sein du « village associatif » une femme noire, qui semble être bénévole pour le festival, prend le micro, et invite qui le souhaite à s’exprimer librement pendant deux minutes. Hélas les festivalier-e-s ne sont pas nombreux-ses et sont pour la plupart happé-e-s par le tourbillon musical.

Un cortège d’une vingtaine de personnes perce la foule et tente de se faire entendre, scandant « Black Trans Lives Matter » (« La vie des personnes trans noires compte »), et capte un peu l’attention.

La nuit est tombée sur Afropunk et Lauryn Hill vient de finir sa prestation acoustique, Tristan, photographe de rue, me dit qu’il est ici avant tout pour apprécier l’ambiance et être entouré de cette foule créative. Cependant, il ajoute : « il ne faut pas se leurrer, la ville de New York, tout comme la société américaine demeure très ségréguée ». Chacune et chacun ici est invité à exprimer sa « blackness » (« identité noire ») dans toute ses nuances et sans limites normatives. Pendant deux jours on peut être noir-e , queer, trans, punk et fièr-e-s. On croise aussi quelques Rachel Dolezal de fortune, et autres blanc-he-s adeptes de l’appropriation culturelle décomplexée. Outre des peintures sur visage inspirées de cultures tribales africaines, on peut regretter qu’il n’y ait pas de mise en valeur des différentes diasporas africaines, malgré la richesse de la population locale noire américaine mais aussi africaine et afro-caribéenne, aucune initiation culturelle n’est proposée.

Alors que les Etats-Unis connaissent depuis deux ans un momentum dans la prise de conscience de la condition des noir-e-s et du racisme institutionnel, à travers la médiatisation plus prononcée qu’il y a quelques années des crimes policiers, on aurait pu imaginer un festival certes d’abord musical mais aussi plus « politique ». Il ne semble pas pour autant que l’organisation officielle d’Afropunk ait déployé de grands moyens pour encourager les dizaines de milliers de participant-e-s à prendre connaissance des différents engagements possibles dans la foulée du mouvement « Black Lives Matter », au-delà du hashtag.

Le programme du festival promettait pourtant un weekend placé sous le signe de la musique, toutes les musiques, mais aussi de l’activisme. En effet quelques associations sont présentes, dont des projets récents ayant émergé depuis la création du mouvement « Black Lives Matter » en 2013, par trois femmes afro-américaines, suite au verdict qui acquitta George Zimmerman du meurtre de Trayvon Martin.

Le deuxième jour, je rencontre brièvement Justin Fulton, co-foundateur de « The Very Black Project », avec André D. Singleton , épuisé par un weekend intense, il me dit avoir créé le projet : « Parce que les noirs aussi ont le droit de s’exprimer ». La plateforme a vu le jour en 2014 avec pour but d’encourager le dialogue entre Afro-descendant-e-s à travers le monde.

Je croise aussi le chemin de Chelsea Odufu, artiste-activiste, elle brandit fièrement une pancarte à l’effigie de son film : “Ori Inu: In Search of Self”, l’histoire d’une jeune brésilienne qui doit choisir entre conformer son identité et sa spiritualité aux normes culturelles étatsuniennes ou revisiter ses racines à travers la religion afro-brésilienne Candomblé.

A quelques mètres, une femme noire a collé sur son sein nu un autocollant marqué du slogan désormais tristement célèbre : « Say her name » (« dites son nom ») et a recouvert son buste des noms de femmes noires récemment tuées par la police comme Rekia Boyd ou encore Sandra Bland. Une initiative courageuse au milieu des riffs de guitare et du défilé de looks « excentriques ». Faut-il lire en filigrane, dans ces initiatives individuelles, l’évolution de la définition de l’activisme à l’ère 2.0, où chacun-e est son propre média et porte-ici littéralement- la cause qu’il-elle défend ?

Afropunk, j’y étais et j’y retournerai peut-être. Le Festival continue sa route, bien que sa venue à Atlanta prévue ce weekend vienne d'être annulée, il devrait faire ses débuts, selon la rumeur au Brésil, et enfin ses premiers pas sur le continent africain, avec pour première destination l’Afrique du sud.


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