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La France, la race et la République


Oui, la race

C’était il y a quelques jours, celle dont le nom écorche libéra cette parole issue d’une idéologie déjà très libérée : « Pour qu’il y ait une cohésion nationale, il faut garder un équilibre dans le pays, c’est-à-dire sa majorité culturelle. Nous sommes un pays judéo-chrétien – le général de Gaulle le disait –, de race blanche, qui accueille des personnes étrangères. J’ai envie que la France reste la France. Je n’ai pas envie que la France devienne musulmane. »

Partout dans les médias, les cafés et jusque dans les couloirs de l’Assemblée on ne semble retenir que ces mots: « race blanche ». Mais qu’est-ce qui fit trembler une partie de la France dans le vomi cathodique de l’ancienne secrétaire d’état, est-ce l’idée que la France soit un pays de blanc-h-es et ait vocation à le rester, ou l’emploi du mot race ? Loin de moi l’idée de cautionner les insanités de l’ex-députée, mais lorsque l’on regarde la France, droit dans ses institutions, force est de constater, malgré la diversité raciale de sa population, qu’elle semble mettre un soin tout particulier à étouffer la présence de ces populations issues de son passé colonial, et à ce que les couleurs de la République ne délogent pas du centre le blanc. Pourquoi l’emploi du mot race éreinte-il autant ? Il va de soi que dans la bouche de l’ancienne ministre Nadine Morano, l’emploi du terme race renvoi aux pires théories biologiques et scientifiques, dont sont imprégnées les clichés racistes et racialisants. Pourtant il existe bel bien, quoiqu’encore trop timidement en France, une approche sociologique de la race.

En effet comment parler de racisme sans parler de race et nommer les phénomènes de racialisation qui affectent les personnes non-blanches ? Comment parler de racisme et de race donc, sans comprendre que sociologiquement les blanc-he-s font bel et bien parties d’un groupe racial ? Parce que le développement sociologique du concept de race a émergé aux Etats-Unis certain-e-s voudraient cantonner à ce côté de l’Atlantique toute théorisation de la race, sous prétexte qu’en France « ce n’est pas la même Histoire ». Quelques jours après les propos qui causèrent perte et fracas chez Les Républicains, François Hollande s’est fendu de la déclaration suivante lors de son passage au Camps des Milles (Bouches-du-Rhône): « La République ne connaît ni race, ni couleur de peau, ni communauté. Elle ne reconnaît que des citoyens libres et égaux. Ce principe n'est pas négociable et ne le sera jamais", puis fit l’annonce d’un texte de loi ciblant : "toute inspiration raciste ou antisémite une circonstance aggravante pour une infraction".”

Depuis le début de la présidence de François Hollande la race semble être le mot à bannir, c’est ainsi que le 16 mai 2013, il fut retiré de la constitution. Comme si en supprimant le mot, on effaçait d’un revers de la main les maux du racisme et la réalité des discriminations raciales de la société française. Y compris à gauche et dans certains milieux militants lorsque la question de l’identité raciale est abordée par les concernées on lit de plus en plus ces termes à la mode : « racialisation du débat » ou plutôt : « ethnicisation du débat », puisqu’on peine encore à parler de race au sens sociologique et de racialisation. Pourtant la race est bien présente, sous-jacente parfois, mais présente. Et la race hiérarchise, divise, catégorise. Ou plutôt ce qui fractionne la société ce n’est pas la race, c’est ce que les américains appellent la white supremacy (la "suprématie blanche" ou hégémonie blanche). En France bien sûr le terme fait sursauter, tout comme celui de race, et pourtant le système basé sur le privilège blanc, lui est bien réel et les personnes non-blanches, dites racisées ont bien conscience elles de leur place dans les mailles du filet.

La question de la race et de l’hégémonie blanche est toutefois abordée en France dans le milieu universitaire et dans quelques sphères militantes. Mais hormis quelques exceptions qui confirment la règle, nous assistons en France à un monopole de la pensée blanche sur la race. Parmi les quelques « intellectuels » présents l’espace médiatique pour parler de race et de racisme dans l’Hexagone, sociologues, historiens, tous sont blancs. Il ne s’agit plus ici seulement de déficit de « représentation » mais d’une volonté de dépolitisation des questions raciales, puisqu’on ne visibilise pas les concernées, experts et non experts, universitaires, activistes et autres. Aussi cette silenciation des personnes racisées, que l’on choisit de ne pas mettre en lumière et de ne pas légitimer, a également pour effet de limiter l’intelligence produite sur la race en France.

La société française incapable de dire et penser la race reste dans une approche « superficielle » des questions raciales. On parle de discrimination sur la base de la « couleur de la peau », une approche foncièrement limitée, voire erronée. Certains arabes ou rroms sont "blancs de peau", mais pour autant ils ne sont pas racialisés comme blancs, ce ne sont pas des blancs. La couleur de la peau joue un rôle dans la hiérarchie implicite ou explicite des individus, ce que l’on nomme le "colorisme", et dans les différentes caractérisations qui font la racialisation et la construction du racisme. Cependant parler uniquement de couleur de peau est souvent un de ces échappatoires auquel a recours la France pour ne pas parler de race. C’est à la fois réducteur et très caractéristique de ce pays qui ne cesse de faire la politique de l’autruche face à ce mal qui la ronge : la hiérarchie raciale, pyramide invisible cachée derrière l’ascenseur social.

Oui la race divise, cette république dite « indivisible », mais surtout cachez cette « question raciale » que la France ne saurait voir. Celles et ceux qu’on qualifient de « minorités visibles » se voient régulièrement affublés de tous les euphémismes : « gens de couleur » (qui ne correspond pas, contrairement à la croyance populaire, à la traduction littérale de « people of color », une appellation à l’origine éminemment politique et délibérément choisie par des femmes racisées aux Etats-Unis, contrairement à son origine et usage en France), « personnes issues de la diversité »…le terme « diversité » lui-même est souvent un « mot-valise » voire un « cache-misère », tant dans son usage que dans sa pratique, lorsque mise en pratique il y a.

Dans cette république qui se veut donc « une et indivisible », bercée d’une idéologie "colorblind" (« qui ne voit pas les couleurs »), la langue de Molière, Césaire et Maryse Condé, pour parler de racisme ne trouve pas les mots.

Indignation à géométrie variable, une hypocrisie française invariable

Alors qu’une partie de mes « compatriotes » s’indignent de ce que l’on appelle dans le jargon journalistique « une sortie » un « dérapage » (lequel semble très contrôlé et ancré dans la continuité de la pensée de Mme Morano) et ne cesse de jaser suite à l’émission « On est pas couché », une autre partie de la France, celle-là même qui n’est pas blanche et qui a conscience que les « valeurs de la République » ne sont pas définies avec et pour elle, l’indignation semble bien sélective et a un goût amer. S’il est sain que les propos de celle dont on a trop entendu le nom révoltent encore, dans une France où les idées d’extrême-droite depuis longtemps ont fait leur lit de part et d’autres, au point qu’il soit de plus en plus difficile de distinguer l’extrême de la droite, et de distinguer une idéologie de gauche crédible, forte, créative et pas seulement réactive, il semble tout aussi hypocrite d’occulter comme c’est trop souvent le cas le prisme racial dans notre lecture de la société française.

Bien sûr ce prisme est présent en filigrane : dans l’obsession de la France avec l’islam et les musulman-e-s, il y a la race, dans l’hystérie laïcarde, il y a la race, dans la politique d’accueil des réfugiés et du traitement des migrants, il y a la race, dans les crimes policiers racistes, il y a -de fait-la race. Pourtant lorsque ces crimes, souvent baptisés « bavures », un de ces euphémismes complaisants pour gommer la dimension raciale, ont lieu, les quelques médias qui en parlent occultent la dynamique raciale. On révèle souvent l’identité de la victime-quand il n’est pas qualifié de suspect- mais pas celui du policier meurtrier et on ne mentionne jamais que celui-ci est blanc, alors que lorsqu’il s’agit de dénoncer les crimes racistes de la police étatsunienne, les langues de nos journalistes se délient plus facilement.

La France aime se complaire dans une condamnation uniquement morale du racisme, une posture idéologique qui ne propose pas de projet politique et sociétal pour lutter contre les discriminations raciales. Pourtant la race et le racisme sont des questions sociales qui n’ont pas vocation à être traitées uniquement entre les murs d’un tribunal. On voudrait personnifier le racisme, plutôt que dénoncer son caractère institutionnel, on préfère faire de lui un coupable appelé à la barre, le sujet d’un énième texte de loi, alors qu’il est ce mal qui s’infiltre dans le tissu social, un mal au caractère systémique. Légiférer n’est pas une erreur mais la loi punit quand faire se peut, et la justice nous le savons n’est ni aveugle ni équitable. Légiférer n’équivaut ni à construire, ni à déconstruire les fondations d’une société qui se maintient entre autres sur un privilège de race et des inégalités raciales. Le racisme n’est pas cet intrus auquel on prête occasionnellement un visage. Le racisme est une condition sine qua non, une pathologie structurelle. Chaque année avec une froideur mécanique et une précision chirurgicale le racisme tue des hommes, des adolescents, détruit des familles, brise, discrimine, marginalise. Chaque année avec la complicité d’une classe politique aveugle et sourde à la race, sous les balles de la police noirs et arabes crèvent à intervalles plus ou moins réguliers sans que la France ne tremble, se révolte ou ne s’indigne. Au contraire la France semble se conforter dans son identité pourtant maintes fois écorchée de « pays des droits de l’Homme », et dans son universalisme poussiéreux.

Dix années se sont écoulées depuis les révoltes (et non pas les « émeutes », terme ô combien connoté) qui ébranlèrent les banlieues françaises suite à la mort des adolescents Zyed Benna et Bouna Traoré, alors pourchassés par la police pour un « simple contrôle au faciès ». Dix années où les crimes policiers racistes n’ont pas pris congés, mais souffrent toujours d’une maigre voire inexistante médiatisation. Depuis plusieurs années différentes voix se frayent un chemin au sein ou en marge des nouveaux groupes militants, avec une volonté de déconstruire les approches « classiques » de l’anti-racisme, des mouvements anti-racistes mais aussi féministes décoloniaux, sortant du cadre unilatéral de la lutte anti-raciste « traditionelle ».

Anti-racisme à la française, la fin d’une époque

Plus de trente ans après la « Marche pour l’égalité et contre le racisme », la lutte anti-raciste est divisée et fractionnée, mais connait un nouveau souffle. La confiance en les organisations officielles soutenues par l’état est perdue (tout du moins s’agissant des personnes racisées conscientisées), SOS racisme en tête, connu entre-autres pour sa récupération politique de la marche de 83, vulgairement rebaptisée: « Marche des beurs », suivi de la LICRA et du MRAP toujours présents, entre autres, pour alimenter l’islamophobie d’état, allant jusqu’à croire et défendre la théorie d’un « racisme anti-blanc ». Des organisations souvent enkystées dans cette vision d’un anti-racisme moraliste mais peu constructif en terme de politiques visant à enrayer le racisme systémique.

L’anti-racisme des années 80 et le paternalisme du « Touche pas à mon pote », est usé jusqu’à la corde. Aujourd’hui c’est « le pote », le-la racisé-é qui prend la parole pour mener la lutte qui le-la concerne, une réappropriation de la parole et de la lutte qui sonne le glas et la fin d’une époque.

La fracture était inévitable, quand on connait les liens étroits entre ces associations et les politiques gouvernementales et les liaisons dangereuses avec certaines personnalités dont la mauvaise réputation n’est plus à faire: Alain Finkelkraut pour ne citer que lui, est membre du Comité d’honneur de la LICRA…

Force est de constater que s’agissant des questions raciales et de leur différentes déclinaison politiques, la France accuse un retard sans précédent. Entre le vide idéologique de la gauche, son incapacité à articuler race et classe et le gouffre qui nous sépare d’une politique d’action affirmative (terme que l’on préfèrera à celui de « discrimination positive », antithèse si l’en est), le salut semble encore bien loin. Depuis la fin de la colonisation, soit depuis plus de cinquante ans, aucune politique n'a été entreprise afin d'apporter une réponse d'envergure aux inégalités sociales et discriminations dont font l'objet les ancien-nes colonisé-e-s et enfants d'ancien-ne-s colonisés. Coincé dans une idéologie universaliste inféconde, que dire de ce pays qui se refuse toujours à réaliser des « statistiques ethniques » ? Un refus récemment facilité par la polémique Robert Ménard et son fichage d’enfants musulmans à Béziers, qui faut-il le rappeler n’a rien à voir avec les statistiques ethniques qui ont vocation à mettre en place des mesures correctrices afin de lutter concrètement contre le inégalités sociales qui affectent les personnes racisées, et d’adapter la société à sa diversité raciale. Que dire de la nomination en novembre dernier, de Gilles Claveurl ( qui fut en poste à l’Intérieur sous Sarkozy), un homme blanc, comme délégué de la lutte contre le racisme (DILCRA), lequel affirmait il y a quelques mois dans les colonnes de Libération, qu’il refusait d’employer le terme islamophobie, et qu’il établissait comme priorité la lutte contre l’antisémitisme, nécessaire oui mais en faisant fi du racisme institutionnel qui frappe les populations liées à l’histoire coloniale française ? Aucune mention du racisme pouvant toucher les asiatiques, et le racisme anti-rroms. «Tous les racismes sont condamnables, mais le racisme anti-Arabe et anti-Noir n’a pas les mêmes ressorts que l’antisémitisme dans sa violence. Il faut être capable de dire la particularité de l’antisémitisme.» affirmait Gilles Claveurl. Certes mais le racisme qui vise les noir-e-s et les arabes a lui aussi ses particularités et son histoire, celle de millions de morts, des viols et violences, la marque indélébile de l’histoire coloniale française et de son continuum. Et de poursuivre en faisant allusion au CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) et à la BAN (Brigade anti-négrophobie) et autres associations et collectifs qui ne sont pas financés par l’état: «Ils sont dans une revendication victimaire destinée à faire reconnaître un groupe en tant que groupe. Ils instruisent le procès de la France comme étant coupable de tous les crimes : l’esclavage, la colonisation (…) en tant que «républicains, on devrait plutôt se féliciter que la France ait aboli l’esclavage». On comprend mieux avec ces propos, si besoin était de clarifier, l’ambition de cet organe étatique.

Etouffer la race et invalider la réappropriation des luttes par les personnes racisées n’est pas seulement la marque d’une France conservatrice, mais bel et bien une stratégie politique afin de ne pas contrarier le lyrisme néo-colonial qui compose le « roman national ».

Le renouveau aujourd'hui s’inscrit notamment avec la dissidence possible grâce à ce que certaine-s nomment « l’activisme 2.0 »; le net, les réseaux sociaux sont souvent le point de départ d’indignations et luttes concrètes. La discussion sur la race se développe aussi par le « virtuel », seul espace où la réappropriation de la parole est accessible au plus grand nombre et permet de décloisonner l’information et réinvente les règles de réappropriation et de légitimité de la narration. Toutefois, les batailles se mènent sur tous les terrains, et une fois n’est pas coutume, en France comme ailleurs, pour se faire entendre nous prenons la rue. C’est pourquoi il faut aller marcher le samedi 31 Octobre et rejoindre la "Marche de la dignité, contre le racisme". L'heure est venue pour nous, noirs, arabes, rroms, asiatiques, personnes racisées, de se réapproprier nos luttes.


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